Étude du lest de l’épave romaine républicaine d’Ilovik-Paržine en Croatie : comment la géologie des carbonates a permis d’identifier le site de construction d’un navire antique?
Une équipe interdisciplinaire de scientifiques (CEREGE, Centre Camille Jullian, Université de Lyon, Université de Ferrara, Croatian Conservation Institute) a analysé le lest découvert sur le navire romain antique naufragé « Ilovik-Paržine-1 », retrouvé en 2016 au large des côtes croates.
L’analyse des roches carbonatées du lest, menée par le CEREGE (F. Fournier, P. Léonide, L. Marié), a révélé que les roches provenaient très probablement de la région de Brindisi, située dans les Pouilles (Italie). Cette découverte a conduit les scientifiques à supposer que le navire avait été construit dans un chantier naval de cette ville antique ou de ses environs. Les résultats ont été publiés dans Journal of Archaeological Science: Reports.
En 2016, à environ 500 mètres de la côte de la petite île croate d’Ilovik, située en mer Adriatique, l’épave d’un navire antique, nommé « Ilovik-Paržine-1 », a été découverte. Entre 2018 et 2022, des archéologues sous-marins du Croatian Conservation Institute de Zagreb et du centre Camille Jullian (programme « Adriboats« ) ont étudié le navire et ont déterminé qu’il mesurait initialement environ 21,5 mètres de long et 6,5 mètres de large, et qu’il transportait du bois et des amphores de vin. Grâce à des datations au radiocarbone et à l’analyse typologique de la céramique, les archéologues ont établi que le naufrage s’était produit entre 170 et 130/120 av. J.-C.
En 2021, les archéologues ont extrait un total de 854 roches, d’un diamètre allant de 1 à 40 centimètres, dont une partie a fait l’objet d’analyses sédimentologiques, pétrographiques, micropaléontologiques et géochimiques (composition isotopique du carbone, de l’oxygène et du strontium des carbonates). Les résultats ont montré que la quasi-totalité du lest est constituée de calcarénites quartzeuses, d’âge Pléistocène supérieur, déposées en milieu marin côtier. Une mission de terrain visant à analyser les formations marines du Pléistocène des côtes adriatiques et ioniennes de l’Italie a permis une comparaison directe avec les roches du lest.
La grande homogénéité des éléments du lest conduit à penser qu’il s’agit probablement d’un lest permanent, chargé lors de la construction du navire dans un chantier naval à Brindisi ou dans un port voisin. Une seconde hypothèse serait de considérer Brindisi, ou un port voisin, comme port d’attache permanent de ce navire, de sorte que le volume de lest était toujours ajusté à partir d’une seule source de pierre. Le lieu où le navire naufragé a été découvert indique qu’il se dirigeait probablement vers le nord, et que la destination finale de son voyage était peut-être l’une des villes situées dans le nord de l’Adriatique, comme par exemple Aquilée, une colonie romaine antique fondée vers 181 av. J.-C. et ayant une grande importance commerciale et stratégique.
Fournier, F., Léonide, P., Marié, L., Quillevéré, F., Margerel, J.-P., Miholjek, I., Dugonjič, P., Carre, M.-B., Cavassa, L., Morsilli, M., Boetto, G., 2024. Provenance of the ballast stones from the Roman Republican ship Ilovik-Paržine 1: A hypothesis about its place of construction. Journal of Archaeological Science: Reports 57, 104580.