FOCUS – Chercheurs extrême 2024
Chercheurs de l'extrême :
des conditions environnementales et physiques hors normes
Qu’est-ce qu’un chercheur, sa vie, son quotidien? Qu’est ce qui rend sa recherche qualitative ? Ce qui fait la différence ?
A l’occasion du Printemps des Sciences le jeudi 18 avril 2024, les élèves du secondaires auront l’opportunité de rencontrer en direct les acteurs de la Recherche lors de speed-dating métiers. Une occasion d’aborder la profession sous tous ses angles.
On représente souvent la Recherche en blouse, entre éprouvettes, analyses et réflexions studieuses loin des représentations d’explorateur au physique entrainé. Pourtant bien souvent, le chercheur n’étudie pas ce qui est à portée. Pour atteindre l’inaccessible, elle ou il se prépare à des conditions de vie extrêmes, s’entraine pour affronter les exigences d’un environnement qui n’est pas le sien, met à rude épreuve son physique et son mental pour atteindre des objectifs à la hauteur des ambitions de la science.
Il troque sa blouse pour l’équipement hyper-technique de l’explorateur, celui-là même lui permettant de gravir des sommets, s’acclimater à des températures hors-normes, descendre dans les entrailles de la terre, défier les éléments d’eau, de feu, de terre et d’air.
En géoscience de l’environnement, les défis multiples bien présents nécessitent d’être préparés. Les acteurs de la recherche au CEREGE en témoignent.
Julie LOSEN, Doctorante équipe Terre & Planètes, CEREGE
= Trek, rando, escalade lors des missions de terrain, en milieu isolé
« J’ai fait beaucoup de sport étant jeune, GRS, fitness, danse voltige… Cela m’a appris l’équilibre, la coordination de mouvements et forgé le mental nécessaire pour atteindre des objectifs. C’est un atout dans ma vie de tous les jours autant au labo que sur le terrain pour la manipulation d’instruments et l’échantillonnage, comme par exemple lors de l’étude des glissements de terrain au Kirghizstan. Accéder à des zones isolées, creuser des tranchées à la pelle de plusieurs mètres de long et de profondeur, briser de la roche au marteau, porter des charges lourdes sur de longues distances en mission de terrain, isolé ou non… Autant d’activités physiquement éprouvantes contribuant grandement au succès de nos recherches. »
Vincent JOMELLI, Directeur de Recherche équipe Climat
= Trek, rando, escalade lors des missions de terrain, en milieu isolé
« Géomorphologue, j’étudie l’évolution des glaciers sur le temps long et le comportement des avalanches de neige. Toutes mes missions sont réalisées en montagne (Alpes, Andes, Himalaya, Groenland, Antarctique, Caucase etc).
J’ai fait beaucoup d’escrime étant jeune à un niveau international. Ce sport étant exclusivement de compétition, cela m’a sans doute aidé à passer le concours CNRS, car je n’ai jamais été bon élève. La montagne étant un sport de famille, après le Bac, j’ai dédié une année sabbatique à la pratique de l’escalade. D’un niveau correct j’ai été entraineur dans un club ce qui m’a permis de financer et donc de poursuivre mes études universitaires étant d’un milieu modeste.
Aujourd’hui, toutes mes missions sont réalisées en milieu isolé et parfois en haute altitude (> 6000 m). En itinérant, sous tente, nous séjournons longtemps en altitude et portons quotidiennement des charges lourdes. Pour accéder à certains sites d’études, la pratique de l’alpinisme (progression en paroi ou sur glacier) est obligatoire. Le sport est donc ici au cœur de la réussite de la mission sur le terrain. Le métier de chercheur est plutôt sédentaire en dehors des missions, il est donc nécessaire pour sa propre sécurité d’être en forme en pratiquant très régulièrement cette activité pendant l’année. Ceci permet d’avoir une « marge » dans la gestion de l’effort et du stress lié aux risques en montagne (foudre, avalanche, chute, mal des montagnes etc) et de maintenir une bonne cohésion de groupe même dans des conditions difficiles. La pratique régulière de l’escalade m’a aussi permis d’etre opiniâtre malgré les difficultés, de ne pas douter de certains choix, même si la réussite n’est pas immédiatement au rendez-vous. »
Yannick GARCIN, IRD, Chargé de Recherche équipe Climat, CEREGE
= Trek, rando, VTT
Spécialisé en paléoclimatologie et en géochimie, j’étudie les environnements et les climats passés en Afrique sub-saharienne. Je travaille principalement sur les zones forestières humides d’Afrique centrale (au Cameroun, au Gabon et en République du Congo).
La Cuvette Centrale Congolaise, sujet de mon attention actuellement, représente un milieu hostile fait de vastes marécages qui abrite la plus grande tourbière tropicale sur la planète. Cette zone très plane, où les sols sont gorgés d’eau toute l’année, est recouverte par une dense forêt marécageuse. Pour atteindre notre région d’étude, nous pouvons partir jusqu’à trois semaines en pirogue motorisée le long de rivières et dormir sous tentes. Pour accéder aux tourbières depuis les rivières, nous évoluons très lentement, des journées entières, chargés de lourds sacs à dos qui contiennent nos équipements et nos échantillons. La tourbe se dérobe rapidement sous nos pieds, laissant une eau très sombre et riche en débris végétaux grossiers envahir désagréablement nos bottes. Dans ces conditions, il devient très difficile de marcher.
Les paysages ressemblent souvent à un mikado géant où pour avancer il faut sauter sur des fûts d’arbres effondrés, enchevêtrés les uns sur les autres, et en cours de décomposition, qui finalement cassent une fois sur deux sous nos pas. La température de l’air et l’humidité relative très élevée, la faune venimeuse rencontrée et la végétation acérée rajoute un peu de difficulté à ce milieu. De l’agilité et une bonne condition physique sont nécessaires pour se mouvoir dans ce milieu hostile et pour aller planter dans la tourbe le lourd carottier qui ramènera la carotte la plus longue possible.
Deborah VERFAILLIE, Chargée de Recherche équipe Climat, CEREGE
= Trek, rando, rando glaciaire lors des missions de terrain, en milieu isolé
« Je travaille sur les liens entre climat et glaciers dans les régions australes, plus particulièrement les Iles Kerguelen, un milieu venteux et très humide où on se déplace majoritairement à pied. Pendant ma thèse, j’ai installé et relevé des réseaux de balises sur la calotte Cook pour mesurer le bilan de masse de surface de la calotte (son état de santé), ainsi que des stations météo en plusieurs endroits de l’archipel pour mieux comprendre la répartition spatiale des précipitations et températures sur l’archipel.
A présent, je travaille plus sur des aspects paléo, en collectant des échantillons sur des blocs rocheux dans les moraines glaciaires pour dater les paléo-retraits glaciaires grâce aux mesures des concentrations en isotopes cosmogéniques de ces roches via le spectromètre de masse par accélération ASTER.
Étant jeune, j’ai pratiqué la natation à haut niveau, ce qui m’a forgé un caractère endurant et un certain sens de la compétition mais aussi de l’esprit d’équipe. Lorsque j’avais 7 ou 8 ans, j’ai découvert les photos d’expédition en noir et blanc de mon grand-père paternel, décédé avant ma naissance, qui était chercheur et a participé à la mission polaire belge en Antarctique en 1958 à l’occasion de l’Année Géophysique Internationale. Depuis ce jour, je m’intéresse aux régions australes et je suis très heureuse d’avoir pu en faire mon métier!. »
Laurent DRAPEAU, Ingénieur de Recherche équipe Environnement Durable, CEREGE
=
» Ingénieur de recherche en mathématiques appliquées et télédétection spatiale, je travaille à la mise en œuvre de méthodes numériques, géostatistiques et spatiales pour la gestion et la surveillance des socio-écosystèmes. J’ai animé pendant 10 ans un observatoire hydro-nivale c’est à dire sur l’enneigement et climat. Beaucoup de terrains en altitude, marche d’accès installation de stations en milieu compliqué d’accès et maintenance. »
Jérôme GATTACCECA, Directeur de Recherche équipe Terre et Planètes, CEREGE
= bivouac en milieux désertiques et isolés
« Géologue et géophysicien, je travaille sur de nombreux sujets qui m’amènent à effectuer des missions dans des milieux désertiques et isolés. J’ai organisé de nombreuses missions de collecte de météorites dans le désert d’Atacama (Chili), le désert le plus aride de la planète. Toujours pour collecter des météorites, j’ai participé à une mission italienne de plusieurs semaines sur le plateau Antarctique, à une latitude de 76° sud et plus de 2000 m d’altitude. Enfin, pour l’étude de cratères d’impacts d’astéroïdes, j’ai effectué trois missions dans le Haut-Arctique canadien, à plusieurs centaines de km au nord du cercle polaire, sur les îles de Victoria et de Devon.
Toutes ces missions en milieux extrêmes ne constituent pas des prouesses sportives car il s’agit essentiellement de marcher dans des espaces relativement plats. Ceci étant dit, pour marcher parfois plusieurs centaines de kilomètres pendant une mission avec des distances de 20 à 40 km par jour, une bonne condition physique est un atout pour avoir une réserve d’énergie disponible malgré les nuits en tente, pour les multiples autres aspects du travail de terrain, et en particulier pour la gestion du groupe. En effet, dans ces milieux extrêmes et isolés, où paradoxalement règne une certaine promiscuité pendant les missions, la cohésion du groupe est un élément essentiel de réussite. Les autres clefs du succès de ce type de mission sont le choix des bons partenaires, une préparation logistique poussée, la connaissance des dangers et l’appréciation des risques inhérents à ce types de milieu. Une préparation des opérations de terrain elles-mêmes, avec cartes et programmes de travail, est également nécessaire même si elle se heurte en général très rapidement à la nature imprévisible du terrain qui nécessite des adaptations constantes.
Ces missions en milieu isolé ont été des moments marquants de mon activité professionnelle, en tant qu’aventures sources d’émerveillement devant la beauté et la puissance de la nature, mais aussi en tant qu’aventures humaines partagés en particulier avec mes collègues géophysiciens du CEREGE, Yoann Quesnel, Pierre Rochette et Minoru Uehara. »
Thomas STIEGLITZ, Directeur de Recherche équipe Ressources, Réservoirs et Hydrosystèmes, CEREGE
= Canyoning, escalade.
« Diplômé de canyoning, mes aptitudes sportives s’avèrent bien utile dans des projets en montagne, comme par exemple lors de l’installation d’une station hydrographique dans l’Himalaya. »
Alexandre Zappelli, Ingénieur d’étude équipe Ressources, Réservoirs et Hydrosystèmes
= Rando, spéléologie, milieux aquatiques (rivières, torrents, canyons), milieux verticaux.
Ingénieur d’étude en hydrogéologie, j’ai rejoint le CEREGE en 2020. L’étude des eaux souterraines demande d’aller sur le terrain pour faire des observations, des mesures et instrumenter les sites. En Provence (comme dans de nombreuses régions françaises et au-delà), les calcaires sont très présents dans le paysage. Au court du temps, ces roches s’érodent facilement pour former des cavités (grottes, gouffres) dans lesquelles circulent les eaux souterraines. Pour les étudier il est alors nécessaire d’utiliser des techniques sportives issues de la spéléologie : progression sur corde ou en rivière.
Florence SYLVESTRE, Directrice de Recherche IRD équipe Climat, CEREGE, représente l’institut au Tchad où elle est affectée à l’université de N’Djamena.
= Trek, rando
Bolivie, littoraux brésiliens, guyanais et lacs argentin, arctique canadien, Lac Tchad, missions au Sahara.. j’ai fais maintes fois l’expérience de milieux extrêmes et hostiles…
Les précédents Focus
Florence Sylvestre
De la paléoclimatologie andine à la gestion des eaux sahéliennes